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SOUVENIR
No: 36 mis à jour le 13.11.2024
J'ai
toujours eu un certain blocage à parler de mon premier cheval, me
sentant en quelque sorte responsable de sa fin tragique.
De nombreuses années après ce jour qui restera gravé dans ma mémoire
comme
dans celle de toute personne qui perd un être cher à deux ou quatre
jambes, je ne peux pas m'empêcher de vous conter l'histoire de CHOUCAS.
J'avais alors 14 ans lorsque Alain Jaggi, mon maître d'équitation et
propriétaire du manège de Meyrin à cette époque, acheta un petit
étalon de 4 ans, noir comme l'ébène avec une petite pelote
en tête et une balzane postérieure gauche.
Sa mère NERA était
d'une authentique race suisse aujourd'hui disparue grâce aux efforts
des directeurs successifs du Haras Fédéral pour "améliorer"
les races suisses: La race des Ormonts.
Son père, BARCA (BACARRA
pour les intimes) fit les beaux jours des places de concours sous la
monte de Madame Francine Hubert épouse de mon tout
premier maître d'équitation, Louis Hubert, propriétaire du manège du
Petit-Lancy.
C'est
là que je fis mes débuts, pas très prometteurs ; un bras cassé à ma
première leçon sur BOREALE la grand-mère de
CHOUCAS... Un beau jour je vous parlerai de Louis Hubert, homme
de cheval exceptionnel.
Revenons
à CHOUCAS ; Il mesurait 157cm, d'un modèle râblé avec une
encolure large et épaisse qui indiquait immanquablement à
quel sexe il appartenait. Sa tête était courte et large, les ganaches
saillantes, ses yeux grands et ronds vous foudroyaient du regard, un
vrai charmeur !
Il y
avait déjà plus de 6 ans que je montais à cheval et me connaissant
courageux, Alain Jaggi, me le confia au débourrage.
Je n'ai pas
eu trop de difficulté à
le monter les premières fois et il fit ses débuts d'une manière fort
sympathique, ne laissant pas présumer de la suite...
En effet à peine débourré le cheval fut confié à un nombre de cavaliers,
surtout des cavalières, du manège qui me jalousaient, brûlants d'envie de le
monter à ma place, et qui ne doivent pas en garder un souvenir très agréable sur
certaines parties de leur corps mais plus particulièrement sur leur ego, leurs nombreux
atterrissages brutaux dans la sciure du manège en témoignant.
CHOUCAS
avait pris ombrages de ses cavaliers successifs qu'il prenait malin
plaisir à jeter à terre avec violence.
Ces
cavaliers, O.V.I., (objets volants identifiés!) eurent vite faits de
perdre l'envie de monter CHOUCAS et je recommençais à m'occuper
de lui. Malheureusement ses expériences, genre "Cap Canaveral" pour cavaliers planeurs, eurent pour effet de laisser en lui
cette fâcheuse habitude de s'alléger lorsqu'un passager montait à bord.
Et je n'échappais pas à ce genre très original de siège
éjectable, chose que je n'appréciais pas particulièrement (surtout
devant les filles du manège!).
Tous les trucs pour me faire "gicler"
étaient bons. Un éventaire de 10 pages ne suffirait pas à
dénombrer les différentes manières de se séparer de
son cavalier.
Son propriétaire, pensa qu'en le castrant, les choses s'arrangeraient
d'elles-mêmes.
La
méthode employée à cette époque était celle dite des "casseaux".
J'y ai
assisté d'abord par curiosité puis horrifié je ne pouvais
pas laisser mon ami quadrupède seul face à la cruauté, mais
malheureusement sans pouvoir faire quoi que soi pour lui.
J'en garde un
souvenir ineffaçable classé dans les plus terribles choses
auxquelles j'ai assisté dans ma vie.
Jugez-en vous-même :
Sans anesthésie, le vétérinaire attachait le cheval à un solide arbre (dans ce cas un magnifique bouleau qui trônait dans la cour du manège) à l'aide d'un licol à toute épreuve, puis à l'aide d'un système d'entraves et de poulies, il le jetait violemment à terre, les quatre jambes ligotées solidement. Il procédait ensuite à la pose en dessus des testicules, de deux baguettes de bois (les casseaux) maintenues entre-elles par des attaches serrées fortement. |
Nous étions en 1960 et commençait pour moi une longue et grave
addiction aux chutes grâce à CHOUCAS.
Il n'a pourtant pas
contribué aux
quelques 24
fractures que mon corps a répertoriées à ce jour (la dernière : en
2018 et un radius fracturé, mais pas à cheval, seulement un coup de
pied d'un chameau!).
Je pense qu'il savait qu'il fallait me "déposer" de manière
élégante !
Il est vrai que
certaines sont dues à une vitesse non adaptée en trottinette, à une
descente d'escaliers sans ceinture de sécurité et même un harcèlement à l'école.
Les autres
étant causées par le redressage de quelques chevaux rétifs et par la
pratique d'une équitation cahoteuse !
Je n'en ai jamais voulu à CHOUCAS
pour son attitude rebelle, je me sentais en quelque
sorte responsable d'un mauvais dressage et pensais que mon inexpérience
avait déclenché en lui cette révolte envers les cavaliers.
Je ne peux
pas dire qu'il était méchant, car il exécutait ses actes
avec un plaisir certain, doublé d'aucune mauvaise conscience.
Mais je
l'aimais, et jamais il ne réagissait négativement à mes tentatives de
le mâter. Au contraire, il commença petit à petit à espacer
ses mauvais tours. Nos luttes étaient parfois titanesques.
Malgré les
"fessées" qu'il avait prises, il n'avait pas peur de moi et chaque fois
que je goûtais de la sciure, il venait tranquillement
vers moi, l'air de dire "ça va ? ". Et prêt à être remonté et prêt à tenter de remettre ça !
Il
savait que cela ne me découragerait pas. Je me rappelle d'un certain
jour où j'étrennais ma nouvelle selle, il me jeta huit fois à
terre. Certes, la selle neuve, glissante par conséquent, était pour
quelque chose dans ce nombre élevé d'envols.
Parfois, il n'attendait
même pas que j'aie passé ma jambe par-dessus la croupe. Quand
je prenais toutes les dispositions pour ne pas être surpris, il ne
bougeait pas.
Ses actions étaient parfaitement imprévisibles, il
pouvait être sage et calme pendant une heure et exploser juste
avant la fin d'un cours.
Il n'y avait aucun signe prémonitoire et il
savait profiter de tout moment d'inattention de ma part, et tout
prétexte était bon. Et pourtant, ma réputation à cette époque
était de me tenir plutôt bien à cheval, on me confiait souvent des
chevaux rétifs à remettre dans le droit chemin.
Il avait une préférence
lorsqu'il y avait du public (souvent féminin), et j'étais le
sujet de paris du genre :
Tiendra ? Tiendra pas ?
Ou :
Combien de chutes
aujourd'hui ?
Parfois il pointait si haut et si longtemps que je
n'avais d'autre solution que d'abandonner le navire en me
laissant glisser par la croupe.
Il tenait sans aucun doute cette
prédilection de la position humanoïde de sa grand-mère BOREALE
qui, je me souviens, avait, un jour de concours interne, au
Petit-Lancy, ramené jusque devant l'écurie son jeune cavalier Francis
Menoud sans poser une seule fois un antérieur sur une distance de plus
de 25 mètres.....
BACARRA, le père de
CHOUCAS était aussi réputé pour ses défenses intempestives en
concours jusqu'à qu'il soit castré, pour lui l'émasculation fonctionna.
CHOUCAS commença à se comporter de manière plus civilisée
qu'après plusieurs mois.
Et la progression des coches que je faisais
sur les bat-flanc de sa stalle à chaque chute, commença à marquer
un certain ralentissement. Il garda tout de même, toute sa vie, un
plaisir à bocquer. Ses coups de cul sont légendaires !
Mais il avait quand le respect de certaines cavalières à qui je le
confiais lorsque mes études m’empêchaient de le monter, je me rappelle
d'Annie une petite française avec laquelle il se comportait bien.
CHOUCAS avait un autre don ; La nuit il réussissait à détacher
son licol (il était en stalle au début), d'aller dans les autres
stalles défaire les licols d'autres chevaux, puis d'ouvrir les
portes des chevaux qui étaient en box, et, tenez-vous bien, d'ouvrir la
porte de l'écurie qui était fermée avec une corde nouée en plus du
loquet, puis avec ses congénères ils allaient tout bonnement
visiter la campagne meyrinoise.
Pendant longtemps on a pensé qu'une
personne malintentionnée procédait à la libération des chevaux, et ce
n'est qu'après que j'aie veillé dans l'écurie plusieurs nuits
de suite que je surpris le véritable coupable procédant à l'évasion
collective.
Dès ce jour CHOUCAS eut droit à un box avec pour
fermeture un cadenas à numéro. C'est peut-être ce qu'il avait
espéré en opérant ses fugues nocturnes.
La première année passée, ponctuée de nombreux événements pas toujours
agréables, je commençais enfin à pouvoir faire du travail intéressant,
le dressage et le saut furent les deux voies que je pris
parallèlement. À cette époque j'eus la chance de connaître deux maîtres
exceptionnels et se complétant parfaitement:
Le premier:
Le Commandant Jean Licart, ancien chef du Cadre de Noir de Saumur
et élève de Danloux. |
Le Commandant commença le
premier cours en me dévisageant sans me dire un mot. Il me fixait avec
insistance. Il ne regardait même pas les autres participants qui
devaient être cinq ou six.
Qu'avais-je oublié ? Je me sentais
de plus en plus mal. Le terme de déshabiller du regard pourrait être
approprié à l'impression que je ressentais. Petit prétentieux sans le
sou accompagnant un groupe de riches genevois(es). Il
m'appela :
- "Vous, le jeune homme avec le petit cheval noir,
approchez-vous ! "
Je m'approche vers lui rouge de peur et il me dit :
- " Vous avez une bien jolie monture, mais savez-vous de quoi vous
avez l'air là-haut sur elle ? "
Je bredouillais dans ma barbe (je n'en
avais pas encore pourtant) deux mots inintelligibles et il continua:
- "... Vous ressemblez à un pot de chambre sur un guéridon
Louis XIV.. "
J'étais remis à ma place... Honteux devant les jolies
filles présentes. Je ne pouvais pas deviner la classification "baroque"
de la remarque aurait des répercutions jusqu'à nos jours !
Le Commandant Licart venait régulièrement prodiguer ses cours et il me
donna le goût d'enseigner l'équitation.
Malheureusement, il ne put
continuer ses voyages atteint par plusieurs infarctus.
Certains de ses élèves poursuivirent ses cours à son domicile en France
jusqu'à sa mort.
Il était un très bon peintre équestre qui signait sous
le
pseudonyme de Tracil (Licart à l'envers). Plusieurs de ses
élèves ont acquis quelques très beaux portraits de chevaux qu'il
apportait avec lui lorsqu'il venait en Suisse.
Les livres qu'il a
écrits étaient trop théoriques pour moi, je ne les ai jamais
beaucoup aimé.
Mon second maître: Nuno Oliveira. Le Portugais venait aussi plusieurs fois à Genève et j'avais la chance pendant toute l'année de pouvoir monter en plus de CHOUCAS la cavalerie que Nuno Oliveira avait dressée et vendue à ses clients genevois : MAESTOSO STORNELLA était un Lippizan que j'avais débourré puis qui était parti pour être dressé au Portugal. Je pouvais le monter ainsi que le célèbre EUCLIDE, tous deux appartenait à Monsieur Auguste Baumeister. Il y avait aussi les chevaux de la famille Firmenich. Tous étaient dans les écuries de Meyrin et je partageais tout mon temps libre entre CHOUCAS et ces vaillantes montures. |
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